Tandis que mes collègues de « l’industrie » [du cinéma] se rendent aux célébrations des Emmy Awards et se parent pour le tapis rouge, je suis ici dans le froid sur le port d’Ajaccio, en Corse, aux petites heures, pour attendre l’arrivée d’un petit voilier, la Zaytouna-Oliva. Le bateau arrive juste après 2 heures du matin et tout le monde débarque, passagères et équipage. La traversée à partir de Barcelone a été rude. Tout le monde a été malade et ça se voit sur leurs visages. L’une des femmes a été si malade qu’il a fallu la transporter en ambulance à l’hôpital. Le bateau est en piteux état et l’odeur de vomi règne, mais pas celle du désespoir.

Les femmes descendent calmement et résolument par la passerelle sur le quai où elles sont accueillies en héroïnes. Dans 24 heures je vais me joindre à ces femmes pour la troisième étape du voyage, vers Messine en Sicile, d’où la Zaytouna poursuivra sa route vers sa destination finale : Gaza.

Mais qu’est ce qui m’a pris de faire 10 000 kilomètres depuis Los Angeles et de quitter ma famille afin de braver la Méditerranée sur ce qui me semble soudain être le plus petit des bateaux amarrés dans le port ? Pourquoi me joindre à ce nouvel effort pour briser le blocus qu’Israël et l’Egypte imposent à Gaza ?

Tout d’abord, c’est pour les femmes que je suis ici –les femmes extraordinaires de Gaza comme les femmes remarquables que je suis fière d’appeler mes co-équipières. Je suis ici parce je suis très préoccupée par les effets sur les femmes de la guerre et du blocus, avec les écoles, les hôpitaux et les maisons régulièrement détruits tandis que l’approvisionnement en électricité et en eau est compromis.

Je suis ici parce que quelque 1.8 million de Gazaouis sont piégés dans ce que l’on nomme souvent « une prison à ciel ouvert ».

Je suis ici pour les 299 femmes et les  551 enfants qui ont été tués dans l’attaque de  2014, et aussi pour les femmes enceintes qui sont privées des services de  santé reproductive élémentaires à cause du blocus et des immenses dégâts causés par la guerre.

Je suis ici parce que le siège de Gaza, mené conjointement par Israël et l’Egypte, viole les Conventions de Genève qui interdisent les punitions collectives.

Je suis ici parce que mon président vient d’augmenter l’aide militaire à Israël de 3.1 milliards de dollars à 3.8 milliards annuels pour les 10 ans à venir, sans limite et sans faire même mention de la situation à Gaza.

Je suis ici parce que, malgré un léger allègement des restrictions, le blocus entraîne d’un chômage élevé, de l’insécurité alimentaire, des infrastructures en très mauvais état, et une crise sanitaire constante.

Nous ne sommes pas là pour apporter de l’ “aide” aux gens de Gaza, mais pour contribuer à l’effort international pour briser le blocus. Je fais miennes les paroles d’une autre femme exceptionnelle, la romancière égyptienne Adhaf Soueif: “Le monde considère que Gaza, c’est une question humanitaire, comme si c’est d’aide que les Palestiniens ont besoin. Ce dont Gaza a besoin, c’est la liberté.”

Je suis aussi ici pour accompagner tant de femmes extraordinaires –la Canadienne Wendy Goldsmith, assistante sociale et militante ; la militante politique israélienne Yehudit Barbara Llany ; Latifa Habachi, la députée tunisienne qui a contribué à élaborer la Constitution de 2014 ; la gynécologue malaisienne Fauziah Hasan ; notre dirigeante intrépide, qui fut de toutes les Flottilles, Ann Wright, ancienne colonelle de l’Armée des Etats-Unis ; enfin notre capitaine Madeline Habib d’Australie. Je suis fière d’être la seule femme noire de ce voyage et même si je vais débarquer à Messine, pour la première fois de ma vie, j’ai le sentiment d’appartenir à quelque chose de bien plus grand que moi.

Je regardais le bateau accoster et je me disais : c’est vraiment extraordinaire qu’un si petit bateau, avec 13 femmes à bord, constitue un tel danger sécuritaire que l’armée israélienne veuille l’intercepter et s’en emparer, arrêter les femmes puis détruire le bateau.

L’une des femmes qui rejoindra l’équipage pour la dernière étape vers Gaza est ma grande amie, l’auteure de théâtre Naomi Wallace. Aussi forte qu’intrépide, Noami me fait souvenir que nous sommes aussi ici pour défendre la liberté d’expression artistique. La preuve, quand j’ai confié à certains de mes amies proches que j’allais faire ce voyage, elles étaient moins soucieuses de ma sécurité physique que des conséquences que cela pourrait avoir sur ma capacité à avoir du travail ensuite.

Critiquer Israël ou exprimer de l’intérêt pour les Palestiniens reste apparemment tabou dans l’industrie du cinéma, de la télévision et même du théâtre. Récemment, le Public Theater à New York a été contraint d’annuler la production de “The Siege,” une pièce sur 5 militants de l’ISM obligés de se réfugier dans une église à Bethléem pendant la deuxième Intifada en 2002. Naomi connait ce genre de censure. Sa pièce “Twenty-One Positions,” une commande du Guthrie Theater co-écrite avec Abdelfattah Abusrour et Lisa Schlesinger,  fut ensuite refusée parce que trop favorable aux Palestiniens. Et quand l’actrice Tonya Pinkins, qui a eu une récompense aux Tony award,  a voulu organiser un concert de soutien au mouvement ‘Movement for Black Lives’, le propriétaire du lieu a brusquement annulé l’événement à cause des critiques faites à Israël par le mouvement.

J’espère que notre voyage va contribuer à briser le blocus tacite aux Etats – Unis de l’art et des artistes de Palestine.

Je ne vais pas mentir, je suis morte de peur. J’ai peur d’être malade, que le bateau chavire, d’être perdue en mer. J’ai peur pour moi et pour les femmes courageuses qui vont essayer de briser le blocus.

Mais j’ai bien plus peur de ce qui pourrait se passer si nous restions chez nous, silencieuses et complaisantes, à poser pour les paparazzi. Briser le blocus ce n’est pas encore la liberté pour Gaza mais c’est un début. Comme le disait mes sœurs sud-africaines dans leur lutte pour la liberté :’’Vous avez touché aux femmes et vous vous êtes heurtés à un roc.”